Vincent Moulin Wright, Directeur général de France Industrie
En tant que Directeur général de France Industrie, comment voyez-vous le rôle de l’industrie française dans la transition énergétique ? Et quels sont les principaux défis et opportunités pour les entreprises industrielles dans ce contexte ?
La transition énergétique est à la fois une nécessité et une opportunité pour l’industrie française, avec comme condition de succès le maintien de la compétitivité.
Pour les industriels, les défis et les opportunités liés à cette transition sont majeurs, car si l’industrie s’est engagée fortement dans cette transition pour elle-même, elle joue aussi un rôle central dans la fourniture des solutions, technologiques et non technologiques, nécessaires à cette transition énergétique : cela va des solutions liées à la production d’énergies primaires et secondaires, aux équipements et aux logiciels d’efficacité énergétique, en passant par toutes les solutions de décarbonation portées par les produits manufacturés. De plus, l’industrie participe activement à la diversification du mix énergétique, énergie nucléaire, énergies renouvelables, carburants liquides (dont les e-fuels), chaleur décarbonée, ou encore tous les types de gaz (gaz naturel, biogaz, hydrogène …), vecteurs indispensables dans la transition énergétique. Dans le domaine de l’énergie, la France n’a pas de problème d’approvisionnement énergétique. Notre mix énergétique est très peu carboné, notamment grâce au nucléaire, et aux EnR. Il faut continuer à décarboner les énergies que nous utilisons sans affecter les intangibles que sont : un approvisionnement suffisant en quantité, gage de sécurité et de souveraineté, et une bonne compétitivité des prix.
L’enjeu de compétitivité est important car la décarbonation ne peut s’opérer que si l’on dispose de prix compétitifs, notamment de l’énergie électrique ou de la chaleur décarbonée. Nous saluons aussi le rôle important de relais que les gaz vont opérer dans cette transition : progrès du biogaz dont le volume est en croissance prometteuse, et de l’hydrogène décarboné, lui aussi soumis à la condition d’une énergie électrique primaire compétitive. La flexibilité du gaz naturel, dans l’intervalle, doit permettre de maintenir le triple objectif de sécurité d’approvisionnement, de flexibilité d’usages et de compétitivité.
Le rapport Draghi sur la compétitivité européenne met en avant plusieurs recommandations pour renforcer l’innovation et la transition écologique. Comment France Industrie intègre-t-elle ces recommandations dans ses stratégies et actions et quels impacts prévoyez-vous sur la compétitivité des entreprises françaises à moyen et long terme ?
France Industrie soutient massivement les conclusions du rapport Draghi. Beaucoup de candidats commissaires européens ainsi que la présidente de la Commission ont repris la sémantique volontariste de ce rapport qui appelle à un sursaut face à l’hyper-concurrence chinoise et au protectionnisme américain, via plus de compétitivité, moins de réglementation, plus d’innovation et d’investissement dans l’Union européenne. Mais, à la lecture des projets de feuille de route des futurs Commissaires, et à l’écoute de leurs récentes auditions au Parlement européen, nous nous interrogeons, car au-delà d’un diagnostic nécessairement partagé, les propositions de ce rapport seront-elles véritablement mises en œuvre ?
Sur de nombreux sujets liés à l’industrie, Mario Draghi voit très juste, notamment sur la réindustrialisation, l’innovation, la décarbonation, l’indispensable simplification réglementaire, la débureaucratisation, et sur le maintien absolu de la compétitivité de l’économie européenne, et donc celle de l’industrie européenne.
France Industrie et ses membres seront très vigilants sur les premières orientations de la Commission sur tous ces sujets. En 2025, nous axerons notre travail sur les premiers chantiers annoncés par la nouvelle Commission notamment deux chantiers : le chantier de la simplification avec en particulier, la réforme des directives CSRD et CS3D qui font peser sur nos industriels des contraintes majeures et une complexité excessive, et le paquet « Clean Industrial Deal » que va piloter Stéphane Séjourné. Dans ce deuxième chantier, et dans le domaine de l’innovation, nous sommes très favorables à une accélération sur l’innovation de rupture. Par exemple, via la création d’une agence européenne de soutien à l’innovation de rupture, analogue à la DARPA américaine dédiée à la défense.
La réindustrialisation de la France est un enjeu majeur pour le gouvernement. Comment France Industrie contribue-t-elle à cet objectif et quels sont les principaux axes de votre stratégie pour encourager la réindustrialisation ?
Oui, la réindustrialisation de la France reste un enjeu majeur pour le gouvernement. La France s’est engagée dans un processus de réindustrialisation dès 2015 qui s’est accéléré lors du premier quinquennat du Président Macron. La dynamique mise en œuvre a stoppé la désindustrialisation qui érodait notre tissu industriel depuis 20 ans. Mais cette année, cette dynamique est de plus en plus contrariée car la demande mondiale est atone, la concurrence asiatique redouble, le plan IRA américain attire beaucoup de projets vers les Etats-Unis au détriment de l’Europe, et la crise énergétique a laissé des traces : les prix européens de l’énergie ne sont plus compétitifs. De plus, nous rentrons en France dans une nouvelle séquence politique où beaucoup des soutiens à l’industrie sont remis en cause : arrêt de la baisse des impôts de production, rabotage des baisses de charges sur les salaires médians, rabotage du Crédit d’impôt recherche, réduction des soutiens à l’apprentissage… Ce risque de détricotage survient paradoxalement au moment où la réindustrialisation fait de plus en plus consensus dans le débat public.
Après les crises que nous avons traversées (Covid, guerre Ukraine/Russie), le grand public redécouvre les fondamentaux d’une production plus souveraine, et l’importance de l’industrie. Le « made in France » intéresse de plus en plus les Français et à cette occasion, les métiers de l’industrie sont mis en valeur. Nous sommes d’ailleurs en pleine Semaine de l’industrie, et nous observons pour cette 13ème édition que plus de 7 000 événements vont se dérouler (contre 5 500 l’année dernière). Si l’industrie fait consensus et devient une « cause nationale », l’image du secteur industriel progresse, mais trop lentement. Ces progrès sont néanmoins le fruit d’un travail collectif mené par tout l’écosystème industriel. Les entreprises en premier lieu, grandes et petites, les fédérations sectorielles, le réseau de la French Fab et les institutionnels. Tous se mobilisent à travers un éventail d’actions portant sur l’attractivité des métiers de l’industrie : exposition Viva Fabrica, Tour de France de la French Fab, Campagne « Avec l’industrie » orchestrée par OPCO 2i, salon Global Industrie … Ces initiatives sont menées auprès de tous les publics, et plus particulièrement les jeunes et les femmes.
En parallèle, France Industrie et ses membres mènent des actions plus structurelles sur les fondamentaux de la compétitivité de l’industrie : en effet, l’offre française a encore un problème de sous-compétitivité face à ses concurrents internationaux, y compris européens. Nos travaux portent sur le coût du travail, la structuration du marché de l’emploi manufacturier, sur les prélèvements obligatoires et spécifiquement sur les impôts de production, ou sur la simplification réglementaire. Nos actions portent également sur le financement des projets industriels, le coût des intrants, à commencer par le coût de l’énergie, sur l’efficacité énergétique, sur la décarbonation profonde, sur les leviers de l’innovation et de la recherche, ou sur l’internationalisation. Nous accompagnons aussi les industriels, notamment les filières et leur tissu de PMI, sur la nécessaire numérisation des chaines de valeur et la modernisation du parc industriel. Tous ces sujets sont traités à la fois au plan français et au plan européen puisqu’une grande partie de la réglementation industrielle de la France découle de directives et de règlements européens.
En conclusion, France Industrie est confiante sur la résilience de la dynamique de réindustrialisation, c’est un mouvement d’ampleur qui ne va pas se tarir, notamment dans les « industries vertes », dans l’énergie ou le recyclage où des giga-factories montent en puissance, et où nous dénombrons plusieurs centaines de projets en développement dans tous les territoires. Cependant nous observons que cette dynamique de long terme se ralentit, certains projets sont même menacés d’arrêt. La réindustrialisation pourrait être contrariée par le retour d’un début de désindustrialisation dans certains secteurs, notamment dans l’industrie de base : chimie, automobile, matériaux, métallurgie, sous-traitance industrielle…
Restons mobilisés, la réindustrialisation est un objectif à 15 ans, mais méfions-nous des à-coups qui pourraient briser cet élan vital !